Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/451

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Cette femme est un caractère, et sur un caractère on peut toujours construire un drame. ― Oui, lui dis-je en riant, il ne reste plus qu’à le trouver. ― Le moyen est bien simple : Chercher une situation pathéthique propre à faire valoir un tel personnage. Or, il n’y en a que deux. Faut-il la peindre aux prises avec une grande passion ou avec une grande douleur ? Faut-il la montrer victime ou coupable ? Si elle a un amant… ― Jamais ! jamais ! m’écriai-je. Jamais je ne consentirai à lui donner un amant. C’est la salir et la vulgariser. C’est retomber dans le vieux drame de la femme adultère. ― Soit, reprit Goubaux en riant ; mais alors, si elle n’a pas d’amant, il faut que son mari ait une maîtresse. L’intérêt sera de montrer un tel caractère en lutte avec le regret, le chagrin, l’irritation, la vengeance peut-être… que sais-je ? ― A la bonne heure ! lui dis-je, cela me va. « Goubaux alors, se retournant vers ma femme, reprit : « Dites-nous donc, chère madame, ce qu’était Clélie comme femme, ce qu’était son mari, ce qu’était son ménage. ― Oh ! le ménage le plus orageux du monde. Passionnément épris d’elle, son mari avait toutes les folies d’imagination, toutes les effervescences de caprices des créoles, de façon qu’il passait sa vie a faire des infidélités à sa femme et à lui en demander pardon, mais pardon à genoux, avec des larmes, des sanglots, des serments de ne plus recommencer, et des retours de passion conjugale d’autant plus ardents qu’ils étaient compliqués de remords, et de remords sincères. ― Et elle ? elle ? ― Oh ! elle… elle écoutait tout… elle subissait tout avec un mélange de dignité, de douleur