Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/452

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profonde, de larmes contenues qui la faisait ressembler à une fille de Corneille. ― Eh bien, m’écriai-je en interrompant ma femme, voilà nos deux personnages posés. Il ne s’agit que de la faire assez souffrir, elle, pour l’arracher à son calme ; de lui faire pousser des cris de douleur, de mettre enfin en scène l’adultère du mari. Il faut prouver, par une vigoureuse action dramatique, que la faute du mari peut amener autant de catastrophes que la faute de la femme. ― Excellent sujet ! s’écria Goubaux. ― Alors, repris-je, commençons tout de suite, mon cher ami, et apprenez-moi mon métier en faisant cette pièce avec moi. »

Eh bien, voilà comment se compose en collaboration la première ébauche d’une pièce de théâtre, c’est une conversation à deux sur un sujet donné. L’un apporte l’idée ou le fait, l’autre le discute ; on cause, on cherche ; on se contredit ; on se complète : du choc des deux pensées naît la fusion, et de la fusion, le plan. Le plan achevé, il faut l’exécuter.

Il y a plusieurs manières d’exécuter une pièce de théâtre à deux. Tantôt, un des collaborateurs ébauche l’ouvrage entier, puis l’autre le reprend et l’achève. Tantôt on se partage les actes ; l’un écrit les deux premiers, l’autre les trois derniers, et on revoit le tout en commun.

Labiche et moi, nous écrivîmes la Cigale chez les fourmis, sans jamais travailler ensemble. Un jour, je le rencontre, sortant du Théâtre-Français, où il venait de lire une comédie en un acte, intitulée les Fourmis. Il était mécontent, un peu blessé. Le comité avait