Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/463

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vous êtes amoureux. ― Moi ! s’écria-t-il en bondissant tout éperdu, moi ! Mais ce serait abominable. Après ce que j’ai dit, après ce que j’ai fait… après ce que je sens là d’affection pour lui. Non, non ! c’est impossible, ce serait un crime ! ― Rien de plus vrai, repris-je. Et c’est précisément pour cela que vous êtes frappé au cœur. Si vous croyez que la nature humaine soit toujours belle !… Demandez aux confesseurs. Vous êtes amoureux comme elle, autant qu’elle, plus qu’elle peut-être… Sauvez-vous ! »

Nous étions au commencement de juin. Je partis le lendemain pour Dieppe avec ma famille, et j’étais resté plus d’une semaine sans nouvelles. Lorsque, en revenant du bain, je le trouvai qui m’attendait. « Vous ! m’écriai-je, effrayé de voir à quel point une seule semaine avait ravagé, bouleversé cette figure. Qu’y a-t-il ? ― Vous m’avez dit de me sauver, répondit-il d’une voix altérée, eh bien, je me sauve près de vous ; donnez-moi asile. Votre femme, votre enfant, votre bonheur, me calmeront, me conseilleront. Dieu merci, je n’ai encore rien à me reprocher. Je ne lui ai pas dit un mot, je viens chercher près de vous la force de me taire toujours. »

Il resta quinze jours avez nous. Je n’oublierai jamais nos promenades dans la forêt d’Arques. Nous montions à cheval tous trois, lui, ma femme et moi, après le déjeuner, et nous chevauchions deux ou trois heures en pleine solitude, à travers les beaux hêtres gigantesques, le long de la crête qui domine la rustique vallée au fond de laquelle coule la Sorgues. La tête penchée sur le cou