Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/57

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éblouissement de sa renommée ? Non ! Il n’avait ni le rayonnant éclat des gloires reconnues, ni la popularité bruyante des génies contestés. A quoi tenait donc mon sentiment ? A lui ! A ce qu’on devinait en lui ! A ce qui émanait de lui ! On sentait… A quoi ? je ne saurais le dire, que, malgré le réel mérite de ses œuvres, ce qu’il était l’emportait beaucoup sur ce qu’il avait fait. Sa personne, ses regards, sa conversation, respiraient je ne sais quelle autorité naturelle, qui est comme l’atmosphère des grands caractères et des grands cœurs. Il m’a fait connaître la sensation délicieuse d’aimer les yeux levés, d’aimer au-dessus de soi. Aussi, qu’on juge de ma joie, quand, bien des années plus tard, après sa mort, j’eus l’occasion de prendre fait et cause pour lui. Un homme d’esprit et de talent laissa tomber de sa plume, dans un article du Journal des Débats, cette ligne dédaigneuse et méprisante : Ce bon monsieur Lemercier. Un tel terme appliqué à un tel homme, me révolta comme un blasphème ; et j’adressai au rédacteur une réponse émue, presque indignée. Quinze jours plus tard, je reçus une lettre écrite en caractères tremblés, sur le fort papier d’autrefois, sans enveloppe, fermée d’un simple cachet de cire noire et qui contenait ces mots : « Je vous remercie pour ma mère et pour moi. Vous êtes de ceux qui se souviennent. Votre réponse à cet article de journal, nous a profondément touchées toutes deux. N. Lemercier