Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/600

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auparavant. Il m’a souvent raconté ce qui lui arriva pour un drame fort intéressant, nommé Philippe, qu’il avait composé avec Bayard, et qui roulait sur le mystère d’une naissance illégitime.

La pièce s’ouvrait par la révélation de ce mystère ; Scribe arrive à la répétition, au moment même où l’acteur révélait ce secret au public. ― « C’est trop tôt, s’écria-t-il, il faut reporter cette révélation à la seconde scène ! » On la reporte le lendemain à la seconde scène. ― « C’est trop tôt, s’écria-t-il, il faut la reporter à la troisième. » On la reporta à la troisième ; mais c’était encore trop tôt, et de report en report, on la recula si bien, qu’elle fut reléguée à la fin de la pièce, et que l’exposition devint le dénouement.

Pourtant, il est juste de mettre une restriction à ces éloges. Si Scribe a été le véritable fondateur de la mise en scène moderne, deux parties importantes de cet art lui font absolument défaut. Il ne s’entendait ni aux décors, ni aux costumes. Chose étrange ! Rien à la fois de si voyageur et de si casanier que l’imagination de Scribe. Elle se promenait dans tous les pays du monde, et elle restait toujours à Paris. Il mettait en tête de ses opéras-comiques et de ses opéras : La scène se passe à Saint-Pétersbourg, la scène se passe à Madrid, la scène se passe à Pékin ; en réalité, la scène se passait toujours en France. Quand il écrivait le mot une cuisine, une auberge, un palais, il voyait toujours la même cuisine, la même auberge, le même palais. Quant à ses personnages, il les affublait dans sa pensée de je ne sais quelles toques, je dirais volontiers de je ne sais quelles