Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/601

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loques qui n’appartenaient en rien au pays. Il s’occupait de les faire agir, de les faire parler, mais quant à les loger et à les vêtir, il n’en avait cure. Ce défaut, tout extérieur en apparence, tenait à cette lacune que j’ai signalée dans son esprit. Le côté pittoresque des choses lui échappait, comme le côté caractéristique des personnes. Il n’avait pas le sentiment de l’individualité. Heureusement, il rencontra un collaborateur merveilleux dans M. E. Perrin. M. E. Perrin, qui avait, lui, l’instinct et la science du décor et du costume, m’a souvent raconté l’émerveillement naïf de Scribe, en voyant ses personnages et ses intérieurs se transformer sous la main de cet habile metteur en scène.

Je ne veux pas quitter cette étude sur Scribe, comme auteur dramatique, sans parler d’un autre de ses collaborateurs, unique dans son genre, car ce collaborateur est un roi.

Scribe avait composé, vers 1850, un opéra sur la Tempête de Shakespeare. Les Anglais désirèrent qu’il fût joué chez eux, et Scribe alla à Londres pour le mettre en scène. Dès le lendemain de son arrivée, sa première visite fut pour le roi Louis-Philippe. Scribe n’avait jamais été républicain, c’était un de nos rares points de dissentiment, et il avait trouvé trop bon accueil aux Tuileries pour ne pas faire un pèlerinage à Claremont.

Louis-Philippe, au dire de ceux qui l’ont connu, était un des plus aimables causeurs de son temps. Il amena gracieusement l’entretien sur la Tempête, et, tout à coup, d’un ton moitié railleur, moitié sérieux : «