Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/674

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chanter, de les défendre. Ne maudissons jamais une étude sérieuse. Ses fruits, pour être tardifs, n’en sont pas moins certains. Un peu plus tôt, un peu plus tard, tout ce qui nous instruit, nous sert ; la Providence nous forme par toutes sortes de moyens et nous conduit au but par toutes sortes de routes. En éducation, la ligne droite n’est pas toujours la plus courte, ni surtout la plus sûre. En outre, mes qualités d’auteur dramatiques, s’appliquant à leur tour à la mise en œuvre de mes recherches, y jetèrent quelque vie, quelque intérêt, et lorsque, deux ans après, mon article parut dans l’Encyclopédie, il attira assez l’attention des lecteurs sérieux, entre autres de Béranger, pour que je me décidasse à en faire un livre. Mais tout à coup, ce livre étant achevé, imprimé, prêt à paraître, éclate la révolution de Février. Reynaud est appelé par M. Carnot au ministère de l’instruction publique comme secrétaire général. Quelques jours après, je reçois ce mot de lui : « Venez tout de suite, c’est pour affaire grave. » J’arrive. « Mon cher ami, me dit-il nettement, j’ai un service à vous demander, peut-être un sacrifice, ou plutôt l’acceptation d’un devoir. ― Qu’est-ce ? ― Il faut que vous partiez comme commissaire du Gouvernement en province. ― Commissaire de Ledru-Rollin ! ― Précisément ! » Oh ! pour le coup je me révoltai : « Mais c’est de la folie ! Vous voulez me métamorphoser en homme politique à présent ! Sachez donc que je suis le contraire d’un politique. ― Je vous répondrai, me dit-il froidement, ce que je vous ai répondu, il y a deux ans. Je vous connais mieux que vous. Je vous ai vu à l’œuvre dans nos promenades à