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dans nos perceptions, nous serions toujours dans l’étourdissement. Et c’est l’état des Monades toutes nues.

25[1][2]. Aussi voyons-nous que la Nature a donné des perceptions relevées aux animaux, par les soins qu’elle a pris de leur fournir des organes, qui ramassent plusieurs rayons de lumière ou plusieurs ondulations de l’air, pour les faire avoir plus d’efficace par leur union. Il y a quelque chose d’approchant dans l’odeur, dans le goût et dans l’attouchement et peut-être dans quantité d’autres sens, qui nous sont inconnus. Et j’expliquerai tantôt comment ce

    de cet état intérieur, laquelle n’est point donnée à toutes les âmes, ni toujours à la même âme. » (Comment. de anima brutorum. Cette élégante traduction est de Maine de Biran, dans son étude sur Leibniz.)

    C’est l’état des monades toutes nues. — Toutes nues, c’est-à dire les plus pauvres en aperceptions. Leibniz distingue la matière prise au sens physique et qu’il appelle « nuda ou materia prima de la substance prise au sens métaphysique et qu’il appelle vestita ou materia secunda. À prendre les choses à la lettre, il n’y a pas de monade toute nue, car il n’y a pas de monade physique ou matérielle : les monades sont essentiellement des êtres métaphysiques, et il ne s’agit ici que de monades relativement nues ou revêtues au moindre degré de perceptions et d’aperception. Cette réserve faite de l’expression qu’emploie Leibniz, remarquons avec quelle profondeur il développe contre Bayle cette opinion qu’une monade nue peut agir selon la raison la plus sévère et la science la plus étendue sans rien connaître de cette raison et de cette science qu’elle applique si bien. « Quelle nécessité y a-t-il qu’on sache toujours comment se fait ce qu’on fait… Faut-il qu’une goutte d’huile ou de graisse entende la géométrie pour s’arrondir sur la surface de l’eau… Nous ne formons pas nos idées parce que nous le voulons : elles se forment en nous, elles se forment par nous, non pas en conséquence de notre volonté, mais suivant notre nature et celle des choses… Il faut savoir que toute substance simple enveloppe l’Univers par ses perceptions confuses ou sentiments, et que la suite de ces perceptions est réglée par la nature particulière de cette substance… Mais il est impossible que l’âme puisse connaître distinctement toute sa nature et s’apercevoir comment ce nombre innombrable de petites perceptions, entassées ou plutôt concentrées ensemble, s’y forme : il faudrait pour cela qu’elle connût parfaitement tout l’Univers qui v est enveloppé, c’est-à-dire qu’elle fût un Dieu. » (Théod., § 403.)

  1. Plus d’efficace par leur union. — Les organes auraient pour principale fonction de concentrer les impressions physiques, de les recueillir, de les centraliser afin qu’elles deviennent sensibles, perceptibles. Ainsi l’œil centralise les ondulations de l’éther ; l’oreille, les vibrations de l’air. On peut toutefois se demander si Leibniz tient un compte suffisant des énergies spécifiques des nerfs et des centres cérébraux. Le véritable organe est place dans le cerveau : c’est le centre de perception. L’organe externe ne fait que concentrer sur ce point les excitations, mais cette concentration n’aurait aucun effet, si ce point était atrophié : il ne suffit pas seulement de recueillir beaucoup d’excitations, il faut encore, dirait Cabanis, que le cerveau les digère et les transforme. Il est donc très vrai de dire que les impressions acquièrent plus d’efficace par leur union, mais cette union ne saurait remplacer les énergies spécifiques des nerfs et du cerveau dont Leibniz ne dit mot; L’accumulation et, pour ainsi parler, l’exaltation des impressions, est la première condition de la perception, mais non la seule.
  2. Tantôt. — Voy., § 62 et §§ 78-81. Pour ce qui est de cette quantité d’autres sens dont parle ici Leibniz, il ne s’explique nulle part assez clairement. Il faut entendre sans doute par cette expression un sens magnétique, un sens électrique qui nous rendraient sensibles aux variations de l’état magnétique et élec-