Aller au contenu

Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui se passe dans l’âme représente ce qui se fait dans les organes.

26[1]. La mémoire fournit une espèce de consécution aux âmes, qui imite la raison, mais qui en doit être distinguée.


    trique des corps comme nous le sommes aux variations lumineuses et thermiques. On sait que les anciens admettaient des sens internes généralement abandonnés par les modernes après les abus qu’en firent les scolastiques. Avicenno en admettait cinq : sens commun, estimative, imagination, fantaisie, mémoire. Leibniz insiste souvent sur la nécessité d’admettre ce que nous pouvions appeler, pour fixer sa pensée, un sens du corps : « Il est vrai que nous ne nous apercevons pas distinctement de tous les mouvements de notre corps, comme par exemple de celui de la lymphe, mais (pour me servir d’un exemple que j’ai déjà employé) c’est, comme il faut bien que j’aie quelque perception du mouvement de chaque vague du rivage, afin de me pouvoir apercevoir de ce qui résulte de leur assemblage, savoir de ce grand bruit qu’on entend proche la mer ; ainsi nous sentons aussi quelque résultat confus de tous les mouvements qui se passent en nous ; mais étant accoutumés à ce mouvement interne, nous ne nous en apercevons distinctement et avec réflexion que lorsqu’il y a une altération considérable, comme dans les commencements des maladies. Et il serait à souhaiter que les médecins s’attachent à distinguer plus exactement ces sortes de sentiments confus que nous avons dans notre corps. » (Lettre à Arnauld, éd. Janet, p. 669.)

  1. Consécution qui imite la raison. — Le mot latin consecutio signifie suite, enchaînement. C’est donc bien de la loi d’association des idées ou des mariages qu’il s’agit ici, Leibniz dit qu’elle imite la raison : les modernes associationnistes soutiennent qu’elle remplace la raison. Le dernier chapitre du deuxième livre des Nouveaux Essais développe l’idée que Leibniz se contente d’indiquer ici : « J’ai remarqué, en parlant du raisonnement des bêtes, que l’homme aussi bien que la bête est sujet à joindre par sa mémoire et par son imagination ce qu’il a remarqué joint dans ses perceptions et ses expériences. C’est en quoi consiste tout le raisonnement des bêtes, s’il est permis de l’appeler ainsi, et souvent celui des hommes, en tant qu’ils sont empiriques et ne se gouvernent que par les sens et les exemples, sans examiner si la même raison a encore lieu. Et comme souvent les raisons nous sont inconnues, il faut avoir égard aux exemples, à mesure qu’ils sont fréquents ; car alors l’attente ou la réminiscence d’une autre perception qui y est ordinairement liée est raisonnable ; surtout quand il s’agit de se précautionner… Une impression, fortuite, mais violente, joint dans notre mémoire deux idées qui déjà y étaient ensemble et nous donne le même penchant de les lier et de les attendre l’une ensuite de l’autre que si un long usage en avait vérifié la connexion ; ainsi le même effet de l’association s’y trouve, quoique la même raison n’y soit pas. » À l’association fortuite, contingente, arbitraire, la seule que l’on invoque pour expliquer l’intelligence par les influences extérieures, il faut ajouter, selon Leibniz et selon M. Ravaisson, une association qui est l’œuvre même de la conscience et de la raison et ne s’explique que par la spontanéité de l’esprit. « Deux perceptions ne se rappellent pas l’une l’autre dans le cas uniquement où elles se sont trouvées ensemble, ce qui est le cas où le positivisme réduit tous leurs rapports, mais surtout lorsqu’elles entrent en droit pour ainsi dire dans une même conscience, lorsqu’elles forment comme des parties d’une même idée et que par l’une l’esprit complète l’autre… En d’autres termes, ce principe de l’association et de la mémoire n’est autre que la raison. » (Ravaisson, Ph. en France au xixe siècle. 2e éd., p. 176.) Leibniz dans le paragraphe 65 du Discours préliminaire développe ces deux idées, que ni les sens ni la raison ne nous trompent. « C’est notre sens interne qui nous fait souvent aller trop vite ; et cela se trouve aussi dans les bêtes, comme lorsqu’un chien aboie contre son image dans un miroir… Les apparences des sens ne nous promettent pas absolument la vérité des choses, non plus que les songes. C’est nous qui nous trompons par l’usage que nous, en faisons… Il est donc vrai que les apparences sont souvent contraires à la vérité ; mais notre raisonnement ne l’est jamais, lorsqu’il est exact et conforme