Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/225

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pourrait fabriquer. Mais ce ne sera que lorsque les hommes auront pénétré plus avant dans la nature des choses qu’on pourra voir pourquoi il appartient au plus pesant des métaux de résister à ces deux épreuves des essayeurs ; au lieu que dans la géométrie, où nous avons des idées accomplies, c’est autre chose, car nous pouvons prouver que les sections terminées du cône et du cylindre faites par un plan sont les mêmes, savoir des ellipses, et cela ne peut nous être inconnu si nous y prenons garde, parce que les notions que nous en avons sont accomplies. Chez moi la division des idées en accomplies ou inaccomplies n’est qu’une sous-division des idées distinctes, et il ne me paraît point que les idées confuses, comme celle que nous avons de la douceur, dont vous parlez, Monsieur, méritent ce nom ; car quoiqu’elles expriment la puissance qui produit la sensation, elles ne l’expriment pas entièrement, ou du moins nous ne pouvons point le savoir, car si nous comprenions ce qu’il y a dans cette idée de la douceur que nous avons, nous pourrions juger si elle est suffisante pour rendre raison de tout ce que l’expérience y fait remarquer.

§ 3. Philalèthe. Des idées simples venons aux complexes ; elles sont ou des modes ou des substances. Celles des modes sont des assemblages, volontaires d’idées simples, que l’esprit joint ensemble, sans avoir égard à certains archétypes ou modèles réels et actuellement existants ; elles sont complètes et ne peuvent être autrement ; parce que n’étant pas des copies mais des archétypes que l’esprit forme pour s’en servir à ranger les choses sous certaines dénominations, rien ne saurait leur manquer, parce que chacune renferme telle combinaison d’idées que l’esprit a voulu former, et par conséquent telle perfection qu’il a eu dessein de lui donner, et on ne conçoit point que l’entendement de qui que ce soit puisse avoir une idée plus complète ou plus parfaite du triangle que celle de trois côtés et de trois angles. Celui qui assembla les idées du danger, de l’exécution, du trouble que produit la peur, d’une considération tranquille de ce qu’il serait raisonnable de faire, et d’une application actuelle à l’exécuter sans s’épouvanter par le péril, forma l’idée du courage et eut ce qu’il voulut, c’est-à-dire une idée complète conforme à son bon plaisir. Il en est autrement des idées des substances, où nous proposons ce qui existe réellement.

Théophile. L’idée du triangle ou du courage a ses archétypes dans la possibilité des choses aussi bien que l’idée de l’or. Et il est indifférent, quant à la nature de l’idée, si on l’a inventée avant l’expérience, ou si on l’a retenue