Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/267

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réellement une espèce distincte et nouvelle, car nous trouvons que quelquesuns de ces monstres n’ont que peu ou point de ces qualités qu’on suppose résulter de l’essence de cette espèce d’où ils tirent leur origine et à laquelle il semble qu’ils appartiennent en vertu de leur naissance.

Théophile. Quand il s’agit de déterminer si les monstres sont d’une certaine espèce, on est souvent réduit à des conjectures. Ce qui fait voir qu’alors on ne se borne pas à l’extérieur, puisqu’on voudrait deviner si la nature intérieure (comme par exemple la raison dans l’homme), commune aux individus d’une telle espèce, convient encore (comme la naissance le fait présumer) à des individus, où manque une partie des marques extérieures qui se trouvent ordinairement dans cette espèce. Mais notre incertitude ne fait rien à la nature des choses, et s’il y a une telle nature commune intérieure, elle se trouvera ou ne se trouvera pas dans le monstre, soit que nous le sachions ou non. Et si la nature intérieure d’aucune espèce ne s’y trouve, le monstre pourra être de sa propre espèce. Mais s’il n’y avait point de telle nature intérieure dans les espèces dont il s’agit, et si on ne s’arrêtait pas non plus à la naissance, alors les marques extérieures seules détermineraient l’espèce, et les monstres ne seraient pas de celle dont ils s’écartent, à moins de la prendre d’une manière un peu vague et avec quelque latitude : et en ce cas aussi notre peine de vouloir deviner l’espèce serait vaine. C’est peut-être ce que vous voulez dire par tout ce que vous objectez aux espèces prises des essences réelles internes. Vous devriez donc prouver, Monsieur, qu’il n’y a point d’intérieur spécifique commun, quand l’extérieur entier ne l’est plus. Mais le contraire se trouve dans l’espèce humaine, où quelquefois des enfants qui ont quelque chose de monstrueux parviennent à un âge où ils font voir de la raison. Pourquoi donc ne pourrait-il point y avoir quelque chose de semblable en d’autres espèces ? Il est vrai que faute de les connaître nous ne pouvons pas nous en servir pour les définir, mais l’extérieur en tient lieu, quoique nous reconnaissions qu’il ne suffit pas pour avoir une définition exacte, et que les définitions nominales mêmes, dans ces rencontres, ne sont que conjecturales : et j’ai dit déjà ci-dessus comment quelquefois elles sont provisionnelles seulement. Par exemple, on pourrait trouver le moyen de contrefaire l’or, en sorte qu’il satisferait à toutes les épreuves qu’on en a jusqu’ici ; mais on pourrait aussi découvrir alors une nouvelle manière d’essai, qui donnerait le moyen de distinguer l’or