des songes
prophétiques ; éveillée, elle semblait lire dans l’avenir. Sur un palier de l’escalier de la grande tour battait une pendule qui sonnait le temps au silence. Lucile, dans ses insomnies, s’allait asseoir sur une marche en face de cette pendule ; elle regardait le cadran à la lueur de sa lampe posée à terre. Lorsque les deux aiguilles, unies à minuit, enfantaient dans leur conjonction formidable l’heure des désastres et des crimes, Lucile entendait des bruits qui lui révélaient des trépas lointains… Dans les bruyères de la Calédonie, Lucile eût été une femme céleste de Walter Scott, douée de la seconde vue : dans les bruyères armoricaines elle n’était qu’une solitaire avantagée de beauté, de génie et de malheur.
Cette sœur, il ne peut s’empêcher de nous parler d’elle. Après nous avoir dit plusieurs fois qu’elle était un peu folle et que la mort de madame de Beaumont « avait achevé d’altérer la raison de Lucile », il tient à nous donner des lettres de cette malade, devenue madame de Caud et veuve, des lettres qui témoignent en effet d’un certain désordre d’esprit. Et je ne sais si je me trompe, mais je crois sentir quelque ressemblance secrète entre l’incohérence ardente de ces lettres de Lucile et celle des propos de Velléda.
Autrefois, Chateaubriand a confié sa femme à Lucile. Elle la lui a gardée dix ans. Peut-être n’était-elle pas pressée de la lui rendre. Puis, Lucile s’est intéressée particulièrement à la liaison de son frère et de madame de Beaumont. Elle lui écrit dans les derniers mois de sa vie : « Je me reposais de mon bonheur sur toi et sur madame de Beaumont :