Aller au contenu

Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/210

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

je me sauvais dans votre idée de mon ennui et de mes chagrins. » Elle lui écrit obscurément : « Mon ami, j’ai dans la tête mille idées contradictoires de choses qui semblent exister et n’exister pas ; qui ont pour moi l’effet d’objets qui ne s’offriraient que dans une glace, dont on ne pourrait par conséquent s’assurer, quoi qu’on les vît distinctement. » Une autre fois : « Mon frère… pense que bientôt tu seras pour toujours délivré de mes importunités… Ma vie jette sa dernière clarté… Rappelle-toi que souvent nous avons été assis sur les mêmes genoux et pressés ensemble tous deux sur le même sein ; que déjà tu mêlais des larmes aux miennes… ; que nos jeux nous réunissaient et que j’ai partagé tes premières études. Je ne te parlerai point de notre adolescence, de l’innocence de nos pensées et de nos joies, et du besoin mutuel de nous voir sans cesse. Si je te retrace le passé, je t’avoue ingénument, mon frère, que c’est pour me faire revivre davantage dans ton cœur. » Et encore : «… Dieu ne peut plus m’affliger qu’en toi. Je le remercie du précieux, bon et cher présent qu’il m’a fait en ta personne, et d’avoir conservé ma vie sans tache. » Pourquoi ces derniers mots ? Et pourquoi, tout à l’heure, « l’innocence de nos pensées et de nos joies ? » Il semblait que cela, d’une sœur à un frère, allât sans dire. Et enfin : « Je pourrais prendre pour emblème de ma vie la lune dans un nuage, avec cette devise : Souvent obscurcie, jamais ternie. »

Oui,