enfance et sa jeunesse. Il a passé la soixantaine lorsqu’il nous raconte ses derniers voyages avec un charme si puissant de mélancolie. Et il est tout à fait vieux (de soixante-huit à soixante et onze ans) lorsqu’il nous raconte sa vie politique et l’histoire de l’Empereur, qu’il voit déjà avec un notable recul. Il ne faut pas oublier que chaque époque de sa vie (sauf la dernière) est remémorée et, si l’on peut dire, ressentie par lui vingt, trente, quarante ans après, et par conséquent enrichie et transformée. Cela nous promet peu d’exactitude, je ne dis pas quant aux souvenirs des faits (car il a des notes abondantes), mais quant au souvenir des sentiments éprouvés jadis. En revanche, c’est une condition excellente pour la poésie. Il l’a lui-même merveilleusement expliqué dans sa Préface testamentaire :
Les Mémoires, divisés en livres et en parties, sont écrits à différentes dates et en différents lieux : ces sections amènent naturellement des espèces de prologues qui rappellent les accidents survenus depuis les dernières dates et peignent les lieux où je reprends le fil de ma narration. Les événements variés et les formes changeantes de ma vie entrent ainsi les uns dans les autres : il arrive que, dans les instants de mes prospérités, j’ai à parler du temps de mes misères, et que, dans mes jours de tribulation, je retrace mes jours de bonheur. Les divers sentiments de mes âges divers, ma jeunesse pénétrant dans ma vieillesse, la gravité de mes années d’expérience attristant mes années légères, les rayons de mon soleil, depuis son aurore jusqu’à son couchant, se croisant et se confondant