Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/320

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ait de la grâce : or, la grâce est incompatible avec une trop rigide précision. »

Joubert avait le goût à la fois très fin et hardi. Les nouveautés de Chateaubriand ne l’étonnèrent point. Il lui fut un très clairvoyant conseiller. Au moment où Chateaubriand, écrivant le Génie du Christianisme, s’appliquait à y mettre de l’érudition, Joubert écrivait à madame de Beaumont : « Dites-lui qu’il en fait trop ; que le public se souciera fort peu de ses citations, mais beaucoup de ses pensées ; que c’est plus de son génie que de son savoir qu’on est curieux ; que c’est de la beauté, et non pas de la vérité, qu’on cherchera dans son ouvrage ; que son esprit seul, et non pas sa doctrine, en pourra faire la fortune. » Ceci n’est point timide, et Joubert ajoutait : « Qu’il fasse son métier ; qu’il nous enchante. Il rompt trop souvent les cercles tracés par sa magie ; il y laisse entrer des voix qui n’ont rien de surhumain, et qui ne sont bonnes qu’à rompre le charme et à mettre en fuite les prestiges. Les in-folio me font trembler. » Joubert avait pour Chateaubriand une admiration amusée et une indulgence presque paternelle malgré le peu de différence des âges (treize ans). Il connaissait Chateaubriand beaucoup mieux que celui-ci ne se connaissait lui-même ; et, tout en le jugeant et sans être jamais sa dupe, il l’aimait avec une vraie tendresse. Et Chateaubriand aimait Joubert, parce qu’il se savait totalement compris de ce pénétrant ami, et qu’il le sentait plus purement