Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/96

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regarder. Heureusement cet enfant meurt : aussitôt Céluta et Mila se précipitent dans une cataracte, laissant aux soins du plus vieux sachem la petite Amélie, la fille de René.

Voilà, très en abrégé, l’action de cet étrange roman. L’auteur avait conçu, vous vous en souvenez, « l’idée de faire l’épopée de l’homme de la nature » qu’il jugeait, dans l’Essai, plus vertueux et plus heureux que l’homme civilisé. Mais on dirait que sa disposition d’âme a changé à mesure qu’il écrivait. Le personnage le plus scélérat du poème est un homme de la nature. Sauf quelques descriptions de fêtes, de moissons ou de chasses, ce poème est constamment atroce. Les bons sauvages, la douce et résignée Céluta, la vive petite Mila, Outougamiz le simple, l’excellent Chactas y sont malheureux à peu près sans interruption. C’est une suite de tableaux affreux… Je ne vous ai parlé ni de la mort du vieux chef supplicié par les Illinois, ni du vieil Adario étranglant son petit-fils pour qu’il ne soit pas esclave, ni d’Akantie, la maîtresse jalouse d’Ondouré, jetée par lui dans un marécage où pullulent les serpents venimeux, ni de tant d’autres horreurs. L’épouvante et la souffrance physique jouent un rôle accablant dans cette histoire (un peu comme dans l’atroce et naïve Chute d’un ange). Toujours le pire arrive. Tout le monde est torturé dans son cœur et dans sa chair. Et sans doute cet étalage d’horreurs mélodramatiques suppose un désir un peu enfantin d’étonner et de frapper :