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Page:Lemaître - Corneille et la Poétique d’Aristote, 1888.djvu/25

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beaucoup de grâce : « Je hasarderai quelque chose sur trente ans de travail pour la scène, et en dirai mes pensées tout simplement. » Ce serait à merveille s’il se tenait parole, et si la Poétique ne lui était qu’un point de départ pour l’exposé de ses vues et de ses théories. Mais elle est pour lui un texte sacro-saint auquel il conforme, bon gré, mal gré, et par des prodiges de piété ou de ruse, ses sentiments les plus originaux. Il ne paraît pas se douter un instant que la Poétique n’est qu’un recueil de notes, dont vingt siècles ont tronqué ou corrompu le texte et qu’il est étrange d’ériger en préceptes des remarques qu’on n’est même pas toujours sûr de comprendre. D’ailleurs, les pièces qu’Aristote a pu étudier n’étaient point assez nombreuses pour lui permettre de formuler les lois universelles de l’art dramatique ; lui-même n’a pas eu cette prétention ; il enseigne comment sont faites les pièces qui ont plu, mais non pas précisément comment une pièce doit être faite pour plaire, il constate plus qu’il ne décrète… et enfin il a pu se tromper. Cela, Corneille le confessera deux ou trois fois, mais par quels détours et avec quel tremblement !

Corneille soulève ensuite une grosse question : — L’art doit-il être intentionnellement moral ? — Aristote n’en dit pas un mot ; mais Horace recommande de « mêler l’utile et l’agréable », et Corneille paraît bien être de l’avis d’Horace. Car, après avoir affirmé qu’« il est impossible de plaire selon les règles, qu’il ne s’y rencontre beaucoup d’utilité ». — (M. Dumas dit plus