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Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/254

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l’idée d’une éducation qui, si elle était réalisable, empêcherait chaque génération de profiter du labeur et de la pensée des morts.

L’utilité de l’éducation, sinon son objet même, c’est précisément de dispenser l’enfant de refaire tout le travail des pères : et voilà que Rousseau prétend l’obliger à refaire lui-même ce travail. Mais en même temps, comme il sent que ce serait un peu long, il triche. Nul enseignement ne comporte plus d’artifice que cet enseignement qui croit respecter la nature. Le gouverneur en est réduit à « truquer » les choses et la vie autour de son élève. Il ne l’instruit pas, non ; il ne le punit pas : mais en réalité il le mystifie et il l’asservit. — comme Fénelon le duc de Bourgogne. Or, si l’élève doit arriver finalement à penser comme son gouverneur, ce n’était peut-être pas la peine de prendre tant de détours. Toute cette éducation est mensonge. Le mensonge est l’âme des trois quarts de l’œuvre de Jean-Jacques.

Ou bien, si cette éducation n’est pas l’asservissement entier de l’élève au maître, elle tend à la rupture de toute tradition. Or la tradition économise le temps en transmettant des parents aux enfants des opinions toutes faites. Elle unit ainsi et fait concorder l’effort des générations successives. Enseignez aux enfants les croyances des pères. Ils s’en déferont plus tard s’ils veulent : mais, si la plupart s’y tiennent, quelle force la communauté humaine dont ils font partie ne retire-