Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/259

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modèles dans le roman ou sur la scène, est forcé de choisir, de ne retenir de la réalité que les traits expressifs et de les ordonner de manière à faire ressortir le caractère dominant soit d’un milieu, soit d’un personnage. Et puis c’est tout. Quels modèles doit-on prendre ? Dans quelle mesure peut-on choisir et, par suite, élaguer ? C’est affaire de goût, et de tempérament. Il n’y a pas de lois pour cela : celui qui en édicte est un faux prophète. L’art, même naturaliste, est nécessairement une transformation du réel : de quel droit fixez-vous la limite qu’elle ne doit point dépasser ? Dites-moi pourquoi je dois goûter médiocrement Indiana ou même Julia de Trécoeur et Méta Holdenis. Et quelle est cette étrange et pédantesque tyrannie qui se mêle de régenter mes plaisirs ? Élargissons nos sympathies (M. Zola lui-même y gagnera) et permettons tout à l’artiste, sauf d’être médiocre et ennuyeux. Je consens même qu’il imagine, en arrangeant ses souvenirs, des personnages dont la réalité ne lui offre pas de modèles, pourvu que ces personnages aient de l’unité et qu’ils imitent les hommes de chair et d’os par une logique particulière qui préside à leurs actions. Je l’avoue sans honte, j’aime encore Lélia, j’adore Consuelo et je supporte jusqu’aux ouvriers de George Sand : ils ont une sorte de vérité et expriment une part des idées et des passions de leur temps.

Ainsi M. Zola, sous couleur de critique littéraire, n’a jamais fait qu’ériger son goût personnel en