Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/317

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voudrait bien se reposer, où lui-même ne croit plus guère à ses haines, où l’envie le prend d’être équitable, ou simplement indifférent — comme tout le monde, d’être tout bonnement de l’opinion des honnêtes gens et des femmes aimables chez qui il fréquente. Mais l’indifférence ou l’équité, c’est le tirage de son journal qui baisse, c’est sa popularité qui décroît, c’est sa signature qui se déprécie. Or il a besoin d’argent, de beaucoup d’argent, — et non pas seulement pour lui. Il a des devoirs onéreux à remplir. Donc à la tâche ! La démagogie est une galère dont il est le forçat. Il reprend sa plume, il insulte par habitude, il calomnie sans y trouver le moindre plaisir, — parce qu’il faut vivre. Horrible métier, bien digne de compassion ! Mais aussi comment voulez-vous que ceux qui l’exercent ne finissent pas par s’y laisser prendre ? Si peut-être ils ont quelquefois des doutes et soupçonnent le mal qu’ils font, cette impression doit passer vite ; les extrêmes conséquences des paroles mauvaises qu’ils écrivent sont si lointaines et si aléatoires ! Et ce qui les rassure encore plus, c’est que justement ils font cela comme un métier, et qui n’est pas toujours divertissant : comment ce qui est parfois si ennuyeux pourrait-il être coupable ? Ils font du journalisme démagogique avec la sécurité de conscience d’un employé qui va tous les jours à son ministère.

Mais je ne prétends pas que toutes ces réflexions se puissent appliquer à M. Rochefort.