Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sons et de métaphores, ni si justes, ni si brillantes, ni si rares, ni, en général, si claires, et n’a su enchaîner ces images dans des périodes qui eussent tant de mouvement, ni un mouvement si large, si emporté, si continu, — ni qui emplissent l’oreille de rythmes plus sensibles, d’une musique plus drue et plus sonore. Je sais bien que le pauvre Hugo n’a que cela. Mais ce rien, dans la mesure où je l’ai dit, personne ne l’a jamais eu. Ne le plaignons donc pas trop.

Venons au détail. Il s’agit, à un endroit du poème intitulé l’Échafaud, d’exprimer cette idée (vraie ou fausse, il n’importe ici) que Marat a été à la fois bon et mauvais, féroce et bienfaisant. Voici le début :

  Entendez-vous Marat qui hurle dans sa cave ?
  Sa morsure aux tyrans s’en va baiser l’esclave.

Or, cette idée, Hugo l’exprime dans un couplet de quarante et un vers, par trente-cinq images différentes, toutes belles, toutes souverainement expressives. J’en prends une poignée, au hasard :

 . . . . . . . . . . . . . . . . . Il écrit ;
  Le vent d’orage emporte et sème son esprit,
  Une feuille, de lange et d’amour inondée…
 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
  Il dénonce, il délivre ; il console, il maudit ;
  De la liberté sainte il est l’âpre bandit.
 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
  Il est le misérable ; il est le formidable ;
  Il est l’auguste infâme ; il est le nain géant ;
  Il égorge, massacre, extermine en créant ;
  Un pauvre en deuil l’émeut, un roi saignant le charme ;
  Sa fureur aime ; il verse une effroyable larme.