Page:Lemaître - Les Contemporains, sér7, Boivin.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Telle est, je crois, la pensée de ces jeunes gens ; pensée haïssable, mais fertile pour eux en orgueilleuses délices.

« Taupins », ils se croyaient déjà considérables (pourquoi, mon Dieu ?) et d’une essence supérieure à celle des autres collégiens ; ils étaient déjà intolérants, défendaient durement leurs privilèges et leur coin de cour. L’entrée à l’École achève de les gonfler. Ces « brimades », ces souffrances infligées par les uns et subies pieusement par les autres déposent en eux tous la conviction que l’École est un grand mystère. Elles scellent entre eux l’engagement mutuel de garder fidèlement cette naïve croyance ; de n’estimer qu’eux au monde ; d’être rogues, dédaigneux, formalistes ; d’être absolus et abstraits ; d’appliquer à tout une étroite et outrecuidante logique ; d’user aveuglément de l’« esprit géométrique » là même où l’« esprit de finesse » serait le plus nécessaire ; de mépriser les autodidactes (si intéressants !), les chercheurs et les inventeurs non estampillés à la marque de l’X, et tous ceux qui, pour apprendre à construire des machines ou à fabriquer des engrais, ont suivi des voies pratiques et n’ont eu besoin que d’un minimum de mathématiques pures ; enfin, de se tenir et soutenir entre eux, quoi qu’il arrive, et, s’il apparaît que l’un d’eux a bâti une digue incertaine ou un pont douteux, de proclamer en chœur que c’est le pont et la digue qui ont tort.