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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Quand soudain l’ouvrier, dans le fond d’un placard,
Sur une planche haute, aperçoit à l’écart
Un vieux paquet noué, qu’il ouvre et qu’il déplie.
« Qu’est-ce cela ? dit-il ; du linge qu’on oublie ?
Voyons !… des vêtements ?… une robe ?… un bonnet ?… »
Leur regard se rencontre, et chacun reconnaît,
Intactes et dormant sous l’oubli des années,
D’une enfant qui n’est plus les reliques fanées.
Ils s’arrêtent tous deux, interdits et sans voix ;
Leur cœur est traversé d’un éclair d’autrefois ;
Leur fille en un instant revit là, tout entière,
Dans sa première robe, hélas ! et sa dernière.
« C’est à moi, c’est mon bien ! dit l’homme en la pressant.
— Non, tu ne l’auras pas, dit-elle, pâlissant ;
Non ; c’est moi qui l’ai faite et moi qui l’ai brodée…
— Je la veux.
                     — Non, jamais ! pour moi je l’ai gardée,
Et tu peux prendre tout ! laisse-moi seulement,
Pour l’embrasser toujours, ce petit vêtement.
Ô cher amour ! pourquoi Dieu l’a-t-il rappelée ?
Depuis trois ans tantôt qu’elle s’en est allée,
Si bonne et si gentille !… Ah ! depuis son départ,
Tout a changé pour moi : maintenant, c’est trop tard ! »
Et, d’un pas chancelant, elle prit en silence
Les objets, qu’il lâcha sans faire résistance.
Elle arrêta longtemps sur ces restes sacrés,
Immobile et rêvant, ses yeux désespérés ;
Embrassa lentement l’étroite robe blanche,
Le petit tablier, le bonnet du dimanche ;
Puis, dans les mêmes plis, comme ils étaient d’abord,
Sombre, elle enveloppa les vêtements de mort,
En murmurant tout bas :
                                       « Non ! non ! c’est trop d’injure !
Tu te montres trop tard !