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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Tu jetas le trésor des charnelles semailles
Aux siècles épuisés qu’il fallait rajeunir.
Comme l’oiseau qui donne à son nid ses entrailles,
De ton flanc déchiré tu nourris l’avenir.

Tes fils furent l’honneur de l’humaine lignée,
Où des Titans vaincus la fierté se défend,
Les bûcherons vaillants dont la sainte cognée
Fit jaillir l’Idéal sous le fer triomphant.

Astre d’or, coupe d’or, France, mère des justes,
Des braves et des forts tombés dans ton linceul,
Nous sommes nés trop tard, puisqu’à tes mains augustes
Nos lèvres n’ont porté qu’un sanglot lent et seul !

Puisqu’il faut jusqu’au bout vaincre notre superbe,
Réprimer, dans nos cœurs, les espoirs superflus,
Et fouler sous nos pieds, avec la terre et l’herbe,
L’impérissable orgueil des grands jours révolus,

Ne porte plus aux mers, Seine, reine des fleuves,
Le spectre évanoui des triomphes lointains ;
Mais, vers le Simoïs, rejoins les pleurs des veuves.
Andromaque et la France ont les mêmes destins !

Le poids des souvenirs courbe nos têtes nues.
Le faîte des palais sur nous s’est affaissé.
Comme un troupeau, parmi les routes inconnues,
Nous marchons, confondus dans l’ombre du passé.

Car, prisonniers d’un sol qu’a déserté notre âme,
Aïeux dont la fierté tomba, dernier rempart,
Nous sommes, fils rompus d’une immortelle trame,
Un peuple d’exilés qu’oublia le départ.