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EDMOND LEPELLETIER.

Coule, coule pour moi, liquide au ton vermeil !
Chaque goutte perlant, chaque caillot qui tombe,
C’est la libation que j’épands sur la tombe
Où gisent pour jamais desséchés et flétris
Nos deux amours défunts, nos deux bonheurs péris !



Et l’Être, s’exaltant, de ses doigts blancs laboure
Le trou qui s’élargit, et sa haine savoure
Le tressautement lourd du cœur ensanglanté,
Et le triomphe rend plus belle sa beauté.



Mais — stupeur et prodige ! — un étrange murmure,
Semblable au frisson lent qui court dans la ramure
Lorsque l’oiseau s’envole, aile et plumes au vent,
Un murmure plaintif, bizarre et décevant
S’élève de ce cœur qui saigne, pleure et chante.
On dirait la musique inquiète et touchante
De ces harpes d’Eole aux fils ténus qui font
Tinter dans l’âme humaine un écho si profond.
Oui, le cœur a frémi, le cœur résonne ; il vibre :
Le rythme se dégage, et bientôt chaque fibre
Fournit sa note claire à l’étrange instrument.
Le cœur chante sa plaie et chante son tourment.
Chaque blessure ouverte est devenue une anche;
Le son limpide et pur sort du trou qui s’étanche.
L’harmonie a jailli du viscère meurtri
Et du clavier de chair qu’un doigt blanc a pétri :
Car plus il a saigné, plus il devient sonore.