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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Les plus enchevêtrés de la psychologie ;
Composé savamment une exquise eau rougie,
Où le vin-passion et le sucre-désir
Avec l’eau-désespoir se mêlaient à loisir ;
Nous avons effleuré des questions diverses,
Couru dans le jardin fleuri des controverses,
Semé le paradoxe à pleines mains, risqué
Tel jugement bizarre et fort alambiqué,
Poussé jusqu’à l’absurde... et même davantage
Le long dévidement du tarabiscotage ;
Troué, vrillé, fouillé, sans peur du fiasco,
L’âme de l’homme ainsi qu’une noix de coco ;
Abordé, le scalpel en main, comme des braves,
Les mystères les plus hardis et les plus graves,
Et parlé tour à tour, changeant notre sujet,
Politique, adultère, art, romans et budget.

Et, pendant le dîner entier, je le répète,
De l’esprit, de l’esprit toujours : une tempête,
Un cyclone effrayant de traits et de bons mots,
Les uns rances déjà, les autres frais éclos;
De l’esprit par ruisseaux, par torrents, par cascades.
De l’esprit, de l’esprit à nous rendre malades!
Et, dès que je sortis, en effet, il me prit
Une indigestion formidable d’esprit!

La tête bourdonnante et les jambes brisées,
Je m’assis sur un banc dans les Champs-Elysées.
Je t’aperçus alors, en relevant les yeux,
Ô lune !... Tu glissais doucement dans les cieux,
Avec ta face bête et ton front sans pensée...
Et, si je l’avais pu, je t’aurais embrassée !

(Les Moineaux francs)