Page:Lemonnier - Félicien Rops, l’homme et l’artiste.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

éventrés, les rognons à l’air et les moignons en croix ! Des villages d’en bas et des hameaux d’en haut, arrivaient aussi, ces jours-là, censières et méquennes, vieilles commères décarcassées ou frisques jouvencelles, marchant du pas des hauts métayers guêtrés et des osseux varlets poussant à coups de gaule devant eux des bandes de porcelets roses comme de la chair d’enfant. D’un bout à l’autre de la ville une grosse rumeur traînait, confondant ensemble les hennissements aigres des ronsins, les rauques rudissements des bourriquets, les abois des chiens, le meuglement des aumailles, le cacardement des oies, tout l’orchestre familier des écuries, des basses-cours et des étables.

Ce fut cette gaîté du pavé namurois que connut la première jeunesse de Félicien ; elle lui demeura dans le sang, comme l’âme sonore de ce pays où les voix même cornent pareilles à des trompes de chasse. La contrée saine et rude, avec ses paysans hâbleurs et madrés, mousse dans l’extraordinaire verve où toute sa vie il dépensa le surplus de son génie. Lui-même ne cessa d’être, jusqu’au cœur des villes, une sorte de rural superbe aux mains larges et aux orteils noueux, les reins solides et le col puissant, parlant en coups de gueule comme s’il tutoyait l’écho des monts, buvant sec et mangeant dru, familier, tout de suite camarade, comme le marchand de grains qui vous dit : « Tope ! affaire conclue ! » mais avisé, se connaissant en hommes, riant tout seul au fond pour un sot qui le traitait en égal et restant à travers les hauts et les bas de la vie un gentilhomme, de toute sa hauteur.