Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/84

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était obligée de quitter la table, hoquetante, pour dégorger à la porte. Zénon Zinque lui-même, le boute-en-train, semblait au bout de son rouleau, maintenant que Flavienne avait décanillé. Le vieux Lambilotte, toujours jaloux, était venu la reprendre, et d’autres filles, la Maigret, la Chalée, la grosse Nane, venues un instant, étaient reparties presque en même temps. Clarinette, les paupières lourdes, songea alors au lit qui les attendait là-bas : elle en avait assez de toute cette ribote, décidément : et lui, les yeux vagues, était reconquis à la pensée de son four, abattu par cette journée vide plus que par une pleine pause de travail. Une dernière bordée de gaieté monta quand ils se levèrent pour s’en retourner chez eux. Fallait-il pas quelqu’un pour tenir la chandelle ? Et interpellant Jacques : « Surtout pas trop de dégâts à la particulière ! » Les rires les suivirent jusqu’à la rue.

Comme ils gravissaient la côte où tant de fois ils s’étaient rencontrés, le souvenir des heures mauvaises mit une tendresse au cœur de la mariée. Elle attira Huriaux à elle, lui colla ses lèvres sur la bouche, dans un élan :

— M’n’homme ! c’est donc vrai qu’ t’es mon homme !

Et, serrés l’un contre l’autre, dans le clair de lune qui découpait à terre une casquette maintenant flasque et un chapeau à fleurs de guingois au bout de leurs ombres enlacées, ils gagnèrent à petits pas la maison. Mais au moment de se coucher, elle eut une colique qu’elle attribua au travail de l’enfant ; et battant son ventre avec colère, elle lâcha une acrimonie contre Jacques. C’était-il cochon de se payer comme ça un pain sur la fournée !



VIII



Le ménage marcha pendant quelque temps sans accrocs. Des bourrasques éclataient bien, toujours suscitées par Clarinette, mais se perdaient dans la grande bonté tranquille de Huriaux qui