Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/85

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mettait ces quintes d’humeur sur le compte de la grossesse. Elle lui sautait ensuite aux genoux avec une gloutonnerie d’amour ; on s’accolait, la dispute s’en allait dans une sensation de plaisir. À toute heure du jour, ce besoin de la chair la prenait maintenant. Comme il était très robuste, il résista d’abord assez bien ; mais petit à petit sa force se détraqua ; même à son four, il était pris par moments de somnolences lourdes, avec des coups de masse dans la nuque. Alors il s’expliqua : il n’y avait pas de bon sens à mettre un homme dans cet état ; sûrement il tomberait un matin la tête en avant sur la cuvette.

— Sois ben content que j’t’aime comm’ça, répliquait-elle, le rire aux dents.

Et de ses yeux clairs, elle se moquait de lui ; un joli coco tout de suite sur le flanc ! — lui faisant honte de sa débilité.

Il lui avait abandonné la conduite de la maison. Chaque quinzaine, il lui remettait sa paye sans en distraire un centime, et le dimanche seulement, prenait dans le tiroir une vingtaine de sous pour aller faire sa partie de quilles avec les compagnons ou participer à un concours de pinsons. Ce jour-là, ils quittaient ensemble le Saut-du-Leu vers neuf heures, entendaient la grand’messe, puis se séparaient jusqu’à midi. Et quelquefois, au retour, il l’attendait pendant une heure, tandis qu’elle s’attardait à jacasser chez Zébédé, chez la Philomène ou chez Zoé Piéfert. Elle avait toujours une excuse : on l’avait retenue pour une affaire ; elle s’était oubliée auprès d’une amie malade : et il acceptait ses raisons sans les discuter, n’imaginant pas qu’elle pût lui mentir. D’ailleurs il ne s’apercevait pas toujours de la longueur du temps : il avait allumé le feu, lavé les légumes, mis bouillir la viande, allant du poêle à ses pinsons devant lesquels il demeurait piété, en bras de chemise, dans le grand silence du dimanche, toute une partie de l’après-midi.

Ils passaient ensuite le reste de leur dimanche partie à table, partie au lit, Huriaux ayant gardé la coutume de faire un grand somme ce jour-là. À la vesprée seulement ils s’en allaient flâner à travers la campagne, s’arrêtant çà et là pour tailler une bavette. Jacques, avec ses goûts paisibles, se sentait attiré par les bois, les arbres, les vergers, les nids ; il connaissait le cri des oiseaux, les