Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/108

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salle. Leur lumière coupait l’obscurité de larges rayures rouges, laissant traîner l’ombre sous le plafond. Et le bal continuait là-dedans ses entrechats, avec ses assourdissantes retombées de pieds, qui faisaient monter la poussière en nuages. Des éclaboussures de clartés tombaient sur les couples qui passaient dans le rayon des quinquets, puis le noir reprenait, et des baisers surpris craquaient, mêlés au brouhaha des voix.

La salle étant trop petite, une partie du bal s’était déversée dans la rue, devant la porte de l’auberge, et là battait la nuit d’une bourrée qui ne décessait pas. Par moments, un des danseurs, assommé par la bière, tombait.

On le remisait sur le rebord de la route. Et la danseuse continuait avec un autre la danse interrompue. Une fin d’ivresse lourde s’abattait à présent sur le village. Des hoquets partaient des tablées.

Derrière l’auberge, des champs montaient en pente douce, coupés de haies, avec des bouquets d’arbres qui dentelaient en noir le bleu sombre du ciel. La chaleur du bal suffoquant Germaine, Cachaprès l’entraîna dans cette grande paix fraîche de la nuit. Il lui prit la main et leurs épaules se touchant, ils s’avancèrent sous l’ombre des feuillages. Des lilas jetaient leurs senteurs fortes dans la vague odeur des terrains suant la rosée. Et l’aubépine trouait de ses masses blanches le chemin, secouant devant eux ses parfums qui achevaient de les griser.

Ils montèrent le long des champs. Elle s’abandonnait à présent : il avait roulé son bras autour de sa taille, et par moments la pressait contre lui d’une large étreinte. Une mollesse la rendait faible contre ses hardiesses et elle s’appuyait à lui, mettait contre son flanc la rondeur de sa gorge frémissante. Elle n’avait plus ni conscience ni pensée. Les yeux noyés, elle marchait dans les blancheurs de la lune, confuses comme l’atmosphère des songes,