Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/114

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mier, par exemple, même un garde. Elle l’aurait aimé à son aise ; puis le mariage s’en serait suivi, peut-être.

Le mariage ! Elle s’en moquait pas mal. Elle ne voulait épouser qu’un homme de son choix, un être fort comme lui, par exemple. Elle avait la haine de ce qui n’était pas robuste, vaillant, hardi, bien planté sur ses pieds. Robuste, elle l’était elle-même. Et elle repensait à ce neveu de Isard, à ce commis de bureau qui n’avait pas même eu la force de la faire danser au bal. Tandis que lui ! Elle fut ramenée alors à se rappeler cette poussée en avant à travers les danses immobilisées. Elle le revit, l’enlevant dans ses bras comme une plume, bousculant toute une salle. C’était un homme, celui-là. Et elle entendait sa voix lui demandant sourdement : « T’faut-y que je les abatte tous ? » Elle aurait dû répondre oui. C’eût été drôle.

Et cet homme l’aimait. Un homme n’est pas aussi enragé après une fille quand il n’aime pas. Il avait des mots tendres que les amoureux ont seuls. Et elle se répétait à elle-même, en souriant, ceux qu’elle avait retenus. Au fait, pourquoi ne l’aurait-il pas aimée ? Il aimait à sa manière, avec violence et douceur. C’était comme cela qu’elle-même comprenait l’amour. Les bêtes, ça n’aime pas autrement.

Puis, il y avait peut-être moyen de l’avoir pour amant, sans qu’on n’y vît rien. Il fallait des précautions, seulement. Elle n’en serait pas plus damnée, parce qu’elle se serait un peu amusée, étant encore fille. Plus tard, il ne serait plus temps. L’âge vient ; on ne peut plus aimer ; on n’en a plus le goût. Ou bien on se marie et on n’a pas eu le plaisir des aventures.

Une lâcheté la rendait accommodante. Elle préparait le terrain à sa défaite. Elle se persuadait que pécher avec prudence n’était pas pécher. Et elle cherchait à jus-