Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/152

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réveil de son apparition. Ses mains la palpaient, reconnaissantes, amoureuses, avec des ivresses ; ils se soûlaient de tendresse un bon moment.

D’autres fois, le frôlement des feuillées annonçant l’arrivée de Germaine, il s’avançait au-devant d’elle ; de loin, elle voyait sa figure entre les verdures. Ils se prenaient par la main et s’enfonçaient dans les dessous ombreux, leurs hanches se touchant. Ils s’abîmaient dans de longs silences. Leur amour leur montait à la tête, comme un étourdissement, et ils se taisaient, s’écoutant vivre au fond d’eux-mêmes, glorieux.

Les jours où elle ne le rencontrait pas, Germaine allait l’attendre chez la Cougnole ; il arrivait bientôt et ils demeuraient ensemble, tant qu’ils voulaient, dans l’isolement de la masure, n’étant troublés par rien. Cougnole avait des ruses variées pour les avertir de sa rentrée, toussait, grommelait, traînait ses sabots à terre, cognait à la porte, avec une habitude de ces choses, et son humilité à les servir grandissait avec le besoin qu’ils avaient d’elle.

Cette Cougnole était une étrange créature. Ceux qui prétendaient que Rupin, son homme, n’avait pas connu précisément tous les bonheurs en ménage, étaient dans le vrai. Une histoire avait même couru. Rupin ayant trépassé subitement, on s’était rappelé certains propos de la vieille. Elle s’était plainte souvent que l’homme lui coûtait à nourrir ; il avait des maux qui l’empêchaient de travailler ; des semaines entières, il restait à dormasser dans l’âtre. Mais les rumeurs étaient tombées devant la douleur bruyante qu’elle fit paraître. Elle demeura deux jours auprès du cadavre, sans vouloir toucher à la nourriture, avec de grands gestes sombres de désolation. Il y eut une scène terrible sur le seuil quand, debout, les bras en l’air, elle vit sortir les quatre planches clouées sur feu