Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/170

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rouges nues jusqu’au-dessus du genou, dans le fumier huileux éclaboussé de bousées immenses.

Hayot regarda les vaches l’une après l’autre du seuil de l’étable, et tout à coup son parapluie s’accrocha au linteau de la porte. Caïotte se retourna au bruit, et le voyant là planté sur ses pieds :

— Tiens ! m’sieu Hayot ! dit-elle, surprise, en descendant sa jupe.

Il fit aller sa tête en signe de bonjour, et continua à observer les bêtes. Leurs masses osseuses se dessinaient par grands plans d’ombre et de lumière dans la demi-obscurité brumeuse de l’étable. Des cornes luisaient sur des frontaux plaqués de clarté ; des croupes noires avaient l’air de se prolonger dans d’autres croupes qui étaient fauves ; et de grosses carcasses ballonnées, couchées à pleins fanons, bosselaient dans les pailles, ou posées debout, montraient la tache rose des mamelles entre l’arc cagneux des jarrets. Et le fermier regardait en connaisseur la largeur des pis, le lustre des robes, la santé des yeux sommeillants et limpides.

— V’là pour boire avec ton galant dimanche, dit-il en tirant trois sous de la poche de sa veste.

Une crevasse détendit les joues de la fille. Elle quitta son trépied et vint prendre l’argent. Alors il lui demanda de faire lever les vaches couchées ; et elle alla de l’une à l’autre, les poussant de son sabot et les appelant toutes par leur nom. Elle s’arrêta devant une vache noire, et la tapota, disant :

— C’est celle-là que j’prendrais, si c’était mon idée d’acheter.

Hayot vit qu’il avait été deviné. Il loucha, en ricanant, du côté de la vachère, et répondit :

— M’est avis que t’as raison.

Et il ajouta deux sous à ceux qu’il lui avait déjà donnés.