Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/94

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Elle vivait de cette possession incertaine depuis deux mois. Son cœur était remué d’une espérance douce qui la berçait et l’irritait. Elle reconnaissait pourtant que le cousin tardait un peu à reparaître. Et tremblante, elle demanda à Germaine si elle ne lui voyait pas un moyen de hâter cette arrivée

Germaine l’écoutait avec un peu de dédain pour sa niaiserie de campagnarde éprise, et de temps en temps, interrogée, lui répondait un mot, puis la laissait dire, finissant par ne plus être touchée que de l’amour qu’il y avait au fond de ses mots. Une langueur la faisait défaillir à de certaines conjectures. Elle avait beau vouloir les rejeter, elles s’obstinaient à remplir son cerveau. Elle sentait par moments comme un brûlement dans la gorge, comme une boule de feu qui montait et descendait, et d’autres fois un flot bouillant qui l’amollissait et la parcourait des pieds à la tête. Cachaprès apparaissait au bout de ces crises, avec ses tentations d’homme fort et résolu, et tandis que Célina lui parlait de son cousin, l’idée qu’elle n’avait qu’à s’abandonner pour goûter enfin la plénitude du bonheur, la gagnait, l’envahissait. Les sourcils tendus, ses yeux vagues errant dans les feuillées, elle songeait à ce garçon étrange, à sa beauté rude, à la douceur de ses paroles. — L’aimait-il après tout ?

Elles avaient pris à travers bois un sentier qui raccourcissait la distance. Une mousse tapissait le pied des arbres d’un velours lustré. À droite et à gauche, des taillis formaient un rideau de verdure qui pâlissait dans la profondeur, petit à petit prenait une transparence d’eau. Et au-dessus de leurs têtes, les branches, en se joignant, étendaient une voussure légère entre les trous de laquelle s’égouttait le soleil. Une fraîcheur montait du sol humide.