Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/95

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Quelquefois, les taillis se rapprochaient au point qu’ils semblaient fermer le sentier. Alors, il fallait écarter les branches, et Germaine sentait une douceur à être caressée par le frôlement des feuillages. Cela mettait un apaisement dans son sang et en même temps chatouillait sa chair au hasard, comme un attouchement. Un gazouillis d’oiseau remplissait les hautes ramures. Des battements d’ailes frissonnaient dans l’ombre. Et cette tendresse des nids en amour s’ajoutait à l’immense allégresse de la terre bourdonnant dans la splendeur d’une après-midi de printemps. Une lasciveté traînait dans l’air ; des végétations s’échappaient des odeurs âcres de sèves fermentées ; un désir de s’étreindre rapprochait les branches, et saisies toutes les deux alors d’un frémissement de tout leur être, demi-suffoquées, Célina et Germaine se taisaient. On entendait parfois la voix de la fermière, distancée, qui leur criait de l’attendre. Elles ralentissaient un peu le pas, sans répondre.

Le sentier débouchait dans les champs. Là, elles ouvrirent leurs parasols, et cette tache brune des alpagas se balançait par dessus les blés déjà hauts, dans la magnificence bleue de l’air. Un souffle léger chassait la poussière à ras du sol, par nuées, qui allaient mourir dans les champs de froment. Elles ouvraient alors la bouche, aspirant cette douceur, ou détendaient un peu les bras.

La plaine brûlait comme une fournaise, et cette chaleur brusque avait empourpré leurs joues d’une large rougeur. Elles s’avançaient l’une après l’autre, un peu lasses, ayant dans l’œil un aveuglement de lumière. Au loin, l’horizon pulvérulent avait des blancheurs de craie.

Germaine, à la mode des campagnes, portait une robe de soie noire sur laquelle retombait un léger paletot également en soie. Elle avait relevé d’une main la traîne de sa robe. Un jupon blanc, raide d’empois, battait à chaque