Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/124

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battait les roches déchiquetées qui font à cette région de l’île une ceinture de granit rouge et noir offrant l’aspect d’une grande ville incendiée enfouie dans un cataclysme sous-marin. Dans les jours calmes, quand les soleils tombants empourprent ciel et mer, il manque pourtant quelque chose à cette harmonie rustique et un peu sauvage des soirs : un son d’angélus à la voix lente et grave. Pas une seule des douze paroisses n’a le religieux bonheur de tinter la salutation de l’ange. Le culte de la Vierge n’est pas reconnu. La poésie du recueillement n’y trouve pas son compte. Chaque soir, en revanche, un coup de canon proclame militairement le coucher du soleil. A propos de la race bovine, je dois dire qu’elle s’est conservée sans mélange. Tout étranger à cornes faisant mine de reproducteur est abattu sur quai sans rémission. La race est restée aussi pure qu’au temps du roi Guillaume.

Des corbeaux et des pies à discrétion ; peu de geais, de difficile approche, et quantité d’oiseaux de proie, sans compter leurs correspondants à faciès humain, rappelant, comme dans les Travailleurs de la mer, les coriaces navigateurs de contrebande qui, après avoir opéré un certain nombre d’années leur bonne petite traite des noirs, achèvent paisiblement leurs vieux jours avec de fine laine fourrée dans leurs