Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/327

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

transparaître la cheville rose, et qu’il enserrait de ses doigts convulsifs comme un vif oiseau prisonnier, il perdit absolument le peu de raison qui flottait dans sa tête, et comme en délire il appuya sur le pied divin ses deux lèvres de feu. Elle en tressaillit jusqu’à sa grande chevelure, comme une plante qu’un chaud soleil aurait baisée brusquement dans sa racine et qui en frémirait de toute la hauteur de sa tige.

Elle était pourpre. D’instinct elle étreignit sa cravache comme pour en frapper l’insulteur… mais la cravache lui tomba des mains, et par une réaction subite, Mlle d’Évran, de pourpre qu’elle était, devint pâle comme une morte… Ses yeux se fermèrent, elle défaillit et s’affaissa dans les bras d’Albert… Il reçut pieusement le fardeau sacré, l’emporta près d’une source vive qui pleurait sous les grands arbres, déposa Mlle d’Évran sur la mousse comme un enfant qui dort, enveloppa religieusement des longs plis de sa robe les petits pieds qu’il ne songeait plus à voir, lui jeta de l’eau fraîche au visage, s’agenouilla devant elle et attendit…

Quand elle rouvrit les yeux, comme en sortant d’un mauvais rêve, elle ne parut ni courroucée, ni confuse, mais triste, profondément triste, comme d’une grave infraction à sa liberté individuelle, faute sérieuse qu’elle avait peine à comprendre et qu’elle ne pardonnait pas.