Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/53

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rumeur grandiose aux premières solennités du printemps.

Ils étaient seuls tous deux, libres pour la première fois d’échanger sans contrainte leurs pensées, et ils avaient tant de choses à se dire, eux surtout qui ne s’étaient jamais parlé ! Bien qu’il se fût passé huit années depuis la scène tragique où Georges avait fait preuve d’un si grand courage, le souvenir en était présent dans la mémoire de Marie Alvarès comme si l’épisode eût daté de la veille. Ce grave paysagiste, revenu, sans mot dire, des pays étrangers, bronzé par les soleils du Nil, et déjà célèbre à un âge où tant d’autres commencent à peine à faire parler d’eux, il était là, marchant tout près d’elle, réglant son pas sur le sien, et l’enveloppant de ses regards discrets, dont il essayait d’assoupir les lueurs, qui révélaient une rare énergie dans l’homme, et dans l’artiste une douceur infinie. Quand ils furent arrivés presque à la berge de la rivière, sur une haute pelouse arrondie en divan naturel, elle s’arrêta et lui indiqua du geste, comme elle lui eût offert un fauteuil dans son salon, une place dans l’herbe où elle s’était assise la première ; elle jugea que l’heure était venue d’être enfin éclairée : elle était fort émue, mais décidée à tout savoir. Elle se recueillit un instant pour assurer son courage et entama l’entretien résolument,