Page:Lenotre - Robespierre et la « Mère de Dieu », 1926.djvu/127

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que l’un fût mort pour que l’autre le vénérât.

De quelques lignes adressées par Robespierre aux mânes de Jean-Jacques, – « je t’ai vu dans tes derniers jours, j’ai contemplé tes traits augustes[1]… – on a conclu qu’il rendit visite à l’auteur du Contrat social sans sa solitude d’Ermenonville ; on a pu imaginer que le philosophe avait institué ce jeune inconnu héritier de ses doctrines, lui léguant la mission de les appliquer. Ce romanesque épisode est très probablement dû à des commentateurs aventureux ; si Robespierre avait obtenu la faveur insolite d’un entretien avec le misanthrope genevois, il n’aurait pas manqué d’en tirer gloire et de consigner les moindres mots de son idole lui indiquant la route à suivre. On peut croire qu’il entreprit le voyage d’Ermenonville, qu’il aperçut Jean-Jacques faisant sa promenade solitaire et qu’il ne risqua pas d’entrer en conversation, crainte d’être rudement rabroué. Cette aubaine peut se dater du printemps de 1778, alors que, sur la fin de ses études, déjà peut-être inscrit à l’École de droit, il échappait facilement à la discipline du collège. De tels pèlerinages étaient alors de mode et bien d’autres enthousiastes rêvaient d’approcher le grand homme : on n’en cite point qui se soient flattés d’y avoir réussi. Carnot et l’un de ses camarades tentèrent l’aventure et furent accueillis par des rebuffades ; Manon Flipon, la future madame Roland, hasarda, elle aussi, une visite et, malgré ses beaux yeux et ses vingt-deux ans, se vit fermer la porte au nez[2].

  1. Mémoires de Charlotte Robespierre. Notes et pièces justificatives, 131 et s.
  2. Mémoires sur Carnot, par son fils, I, 88-89.