Page:Lenotre - Robespierre et la « Mère de Dieu », 1926.djvu/188

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d’un embarras manifeste, et l’expression morne et inquiète de son visage contrastait avec l’agitation du groupe turbulent des représentants[1]. Ce que l’enfant ne pouvait savoir, c’est que cet homme sombre endure, à ce moment même, la plus cruelle de toutes les déceptions de sa vie. Malgré les fanfares, les salves, les chants, les acclamations saluant son passage, il n’entend que les invectives, les brocards dont le poursuivent ses collègues marchant derrière lui ; il reconnaît les voix : celle de Bourdon de l’Oise, qui le désigne aux autres et à la foule comme un dictateur, un charlatan[2] ; celle de Ruamps, de Thirion, de Montaut et surtout de Lecointre, le marchand de toiles de Versailles, qui, plus de vingt fois, le traite de tyran et menace de le tuer[3]. Merlin, de Thionville, entendant une femme crier Vive Robespierre ! la repousse, indigné : « Crie donc Vive la République ! malheureuse ! » Robespierre intervient : « Pourquoi maltraiter cette pauvre femme ? » dit-il d’un ton très doux, – si doux que Merlin se sent perdu… Un autre représentant remarque ironiquement : « Il n’y eut pas beaucoup d’encens pour le dieu du jour… J’entendis toutes les imprécations… proférées assez haut pour parvenir jusqu’aux oreilles du sacrificateur, malgré l’intervalle laissé entre lui et nous… c’est la haine qu’on lui portait qui détermina

  1. É.-J. Delécluze, Louis David, son école et son temps, 7 ch. 8.
  2. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, II, 19-20. – Notes de Robespierre sur plusieurs députés : – « Le jour de la Fête de l’Être suprême, en présence du peuple, Bourdon s’est permis les plus grossiers sarcasmes et les déclamations les plus indécentes. Il faisait remarquer avec méchanceté les marques d’intérêt que le public donnait au président. »
  3. Baudot, Notes historiques, 5.