Page:Lenotre - Robespierre et la « Mère de Dieu », 1926.djvu/189

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cette séparation[1]. » Il lui faut marcher crispé de rage, méditant contre sa haineuse escorte d’effroyables représailles. Comment peut-il s’étonner de cette aversion ? Ne songe-t-il donc pas que son cortège se compose, sauf peu d’exceptions, de ceux qui s’opposèrent jadis à lui livrer la tête du Roi, et qui, depuis lors, se taisent, attendant leur heure ; d’anciens partisans de la Gironde qui ruminent en silence la revanche ; des amis de Danton qui ne pardonnent point et ne le supportent que par peur ; des montagnards farouches qui regrettent Hébert, Chaumette et leurs manifestations d’athéisme ? Sa suite, en ce jour de triomphe, est faite non seulement des vivants qui le bafouent et l’injurient, mais de tous les spectres de ceux qu’il a sacrifiés pour déblayer sa route. Précisément le cortège, sortant du jardin national, parvient à l’emplacement de l’échafaud, démonté dans la soirée de la veille : douze têtes, dont celle d’un volontaire de dix–huit ans, y sont tombées hier, et un citoyen, Prud’homme, dut travailler la nuit « à laver et à couvrir de sable le sang des victimes[2] ». C’est là que Brissot, Vergniaud, Danton, Camille, sa tendre Lucile, la spartiate Manon Roland, et tant et tant d’autres sont morts en maudissant celui qui, le visage clos, l’air impassible, franchit maintenant ce passage tragique.

Les musiques, les chœurs, les batteries de tambour, les sonneries de trompette accompagnent le

  1. Baudot, Notes historiques, 5 et 5[sic].
  2. Pièce de comptabilité émanant de la Trésorerie et faisant partie des documents Ruggieri conservés à la Bibliothèque de la ville de Paris. Prud’homme toucha, pour ce travail, 52 livres.