Page:Lenotre - Robespierre et la « Mère de Dieu », 1926.djvu/369

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complice de Babeuf, il eut l’aplomb de retourner dans son pays où il fut mal reçu : on y gardait le souvenir de certaines querelles de voisinage réglées à coups de guillotine : tout ce qui lui déplaisait dans l’Ariège avait fini sur l’échafaud. Enfin l’oubli venu, avec l’Empire, Vadier se fixa à Paris où, pour mieux les surveiller, Fouché tolérait la présence de ses anciens collègues. Veuf, Vadier avait épousé sa servante, belle personne dont l’opulence des formes contrastait avec la sécheresse parcheminée de son mari. Celui-ci, « grand comme Saturne, osseux et décharné comme lui », le nez crochu, le menton pointu, l’œil scintillant dans son orbite, avait conservé sa vivacité pétulante, mais une vivacité silencieuse ; entouré de tisanes de toutes les espèces, courbé en deux, il relevait de temps à autre sa tête où pendillaient quelques rares cheveux blancs, et il ricanait tout bas avec un bruit sec et strident qui vibrait sans retentir.

L’enfant[1] qui, plus tard, devait tracer du vieil incrédule ce croquis magistral, était lui-même le fils d’un régicide ; il vivait parmi les invalides de la Convention qui, la nuit venue, se glissaient chez son père, rasant les murs, tremblants d’être reconnus : Amar, Lindet, d’autres survivants des grands Comités, venaient là. Vadier surtout étonnait l’enfant : le vieillard ne prononçait que des mots, et, la plupart du temps, des mots d’une syllabe ; mais ses gestes, ses réticences, ses ricanements muets témoignaient d’une ironie froide et inexorable. C’était le négateur, l’irréconciliable ennemi

  1. Philarète Chasles, Mémoires, I, passim, particulièrement de 47 à 51.