Page:Leo - Aline-Ali.djvu/51

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m’emportant sur ses ailes, me fit habiter les sommets de l’amour et de la foi, je me glorifierai de cet adultère, et mépriserai du haut de ses souvenirs le marais infect auquel on donne les noms de mariage légitime et de vertu !… »

La voix de Mme de Chabreuil éclatait en intonations tantôt sifflantes et âpres, tantôt graves et brisées ; son sein haletait ; ses yeux ardents lançaient à ce passé, qui l’avait si cruellement blessée, des regards de défi, de haine et d’insulte. Elle s’arrêta, mit la main sur son cœur et se rejeta dans son fauteuil en fermant les yeux, s’efforçant d’apaiser une agitation dont sa volonté n’était plus maîtresse. Un silence eut lieu, pendant lequel on n’entendit que les crépitements du chêne dans l’âtre — où se jouait la flamme sur d’admirables chenets de bronze verdi, représentant des troncs et des feuillages — et deux respirations inégales, mais également oppressées. Quand Mme de Chabreuil, rouvrant les yeux, les fixa sur sa sœur, elle la vit toute pâle, les paupières baissées, et les joues couvertes de larmes qui roulaient une à une, pures, silencieuses et brillantes, sous la lumière adoucie des globes d’opale.

« Ah ! murmura-t-elle, pleure, toi qui sais encore pleurer. Pleure ta Suzanne et ne maudis pas ses joies. Elle a duré peu cette exaltation. Mon bonheur était un mensonge ; car je l’avais fondé, vois-tu, sur la base la plus fragile qui soit en ce monde, l’amour d’un homme. Sur cet alliage de sensualité, d’égoïsme, d’orgueil et de lâcheté, j’avais bâti le rêve d’une adoration folle et d’un dévouement sans limites. Aline, écoute bien ! écoute ! car tout ceci n’est pas un vain épanchement, ce n’est pas même la confidence d’une