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Page:Leo - L Institutrice.djvu/194

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que, dit-il, l’homme deviendrait comme l’un de nous, sachant le bien et le mal.

— Il y a donc d’autres dieux, mademoiselle, demanda la petite, puisque l’Éternel dit : Comme l’un de nous ; et puis, pourquoi est-ce que Dieu défend la science, puisqu’il est bon de s’instruire ?

— Il ne voulait pas que l’homme fût aussi habile que lui, répondit, de son propre mouvement, une autre fillette au minois vif et rusé, dont l’air disait assez que pareille conduite lui paraissait plus que mesquine.

Il y eut à cette réponse des sourires parmi les enfants, et d’autres commentaires analogues. Parmi les élèves de Sidonie, se trouvait la fille du sacristain, grande fillette pâle, assez intelligente ; mais d’humeur jalouse et sournoise, commensale du presbytère, où régnait sa mère, comme gouvernante. Elle écouta les propos de ses compagnes, en pinçant les lèvres, et jeta sur l’institutrice un regard observateur.

Sidonie, les yeux attachés sur le livre, qu’elle ne lisait pas, restait absorbée par les réflexions qui l’avaient saisie. Cette interdiction de la science, placée au commencement du code religieux ; cet autel, dressé dès l’abord au privilége ; cette épée flamboyante qui garde l’Éden, contre l’humanité sujette, ignorante et pauvre ; ce mythe enfin qui pour elle, auparavant, n’était qu’une grossière légende, venait de prendre tout à coup à ses yeux un sens profond, terrible. Ce n’était pas une rêverie sans valeur, comme elle l’avait cru, conservée par l’habitude, la superstition et l’intérêt de la caste cléricale ; c’était la forteresse d’ini-