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ments durent en éprouver ces deux pauvres femmes qui voyaient écrasées de ce coup toutes leurs espérances, espérances sacrées, puisqu’elles s’appliquaient à des besoins ! Sans les considérer, ces besoins, sans pitié, sans scrupules, brutalement, au moment où elles se flattaient de triompher enfin, pour un peu, de leur misère, ces gens les y rejetaient. Déjà elles avaient tant parlé de ces robes, qu’elles allaient pouvoir acheter ! La couleur en était choisie, modeste, sombre, et l’étoffe un peu grossière, afin qu’elle durât plus longtemps et coutât moins cher. Sidonie, de plus, méditait l’achat d’une demi-pièce de vin pour sa mère, qui ne pouvait s’habituer au cidre et dépérissait visiblement… Eh bien ! non, il leur faudrait continuer d’épargner sur la santé, sur la vie, renoncer à tout, même à cette décence de l’extérieur, plus chère à certaines femmes que la vie et la santé. Cette déception eut pour elles toutes les duretés de l’imprévu, toutes les amertumes de l’injustice. Dans leur cachot de misère, un pauvre rayon venait luire, on l’éteignait ! Ainsi frappées, elles eurent l’audace de crier ; la révolte fut plus forte que la prudence. Il échappa à Mme Jacquillat de dire que c’était une honte d’ôter ainsi le pain à de pauvres femmes, et Sidonie regretta de n’avoir pas choisi une carrière où le fruit de son travail lui eût été moins disputé.

Ces propos séditieux furent, bien entendu, répétés à qui de droit, et ce fut au tour du maire et des conseillers municipaux de se sentir offensés.

ANDRE LÉO

(À suivre)