Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/253

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regardait avec cette expression mutine et caressante qui, autrefois, m’eût donné envie de la dévorer de baisers. Eh bien, je suis resté tranquille, et, malgré ses agaceries pendant notre promenade, je n’ai été, sans aucun effort, que poli et fraternel. Ah ! l’amour ne peut vivre sans admiration, et la mienne ne peut être assez excitée par la seule beauté des formes pour que le prestige extérieur ne s’efface pas, à la suite du prestige moral. Pauvre enfant !… j’ai le cœur désolé ; je me maudis moi-même… Ce sera donc éternellement ainsi. On cède au besoin d’aimer ; on suppose tout ce qui n’est pas ; on adore ; puis, dans cette confrontation incessante du modèle idéal et de l’être réel, la vérité se montre, l’erreur se dissipe. Ô cruelle et sanglante tromperie ! illusion maudite ! C’est donc la même histoire, pour tous et toujours. Et ce doute infernal, que l’amour ne soit qu’un leurre, vient toujours se poser dans notre pensée !

Hier encore, j’ai pu lire au fond de cette âme d’argile. On a reçu des Martin l’annonce du mariage de leur seconde fille avec le sous-préfet de l’arrondissement. Grand émoi à cette nouvelle. On ne parle d’autre chose, et l’on se prépare à faire une visite de félicitations chez les Martin. Un sous-préfet, une corbeille de mariage, une maison à tenir, un trône à occuper dans une petite ville, tout cela tourne la tête de Blanche ; ses yeux éblouis et rêveurs m’indiquaient déjà ses pensées. La conversation de ce matin me les révéla mieux encore. Nous étions dans le salon, elle, sa mère, sa tante et moi, quand cette phrase : « Elle se marie avec un sous-préfet, » pour la dixième fois frappa mon oreille.