Page:Leo - Marie - la Lorraine.djvu/6

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grine le cœur du fermier et retient souvent son courage : c’est de se dire qu’il se tue de travail pour augmenter la valeur du bien des autres, et que lorsque, grâce à des labeurs de 10 ou 20 ans, un domaine vaudra le quart, le tiers de plus, et quelquefois davantage, on se verra remercié de sa peine par une augmentation de fermage, ou bien qu’on sera contraint de céder à un autre les terres qu’on a travaillées avec tant de cœur, et qui vous semblent, non sans raison, être à vous pour une bonne part ; car, outre l’engrais et la semence, on a mis dans ces terres de sa force, de sa vigueur, de son âme, et on y laisse tout cela. Est-ce à dire qu’on soit jaloux du bien d’autrui ? Non pas ; mais il est juste, dans la société où nous sommes et où, si l’on venait à manquer, il ne faudrait point compter sur le voisin ; il est juste et naturel de vouloir garder pour soi ce qui vient de soi, et surtout de ne pas aimer à faire cadeau à de plus riches du fruit de ses sueurs. C’est pour cette raison-là que les bons fermiers sont rares, et qu’on en trouve tant qui ne songent qu’à épuiser les terres au lieu de les améliorer ; les propriétaires n’y perdraient pas, et l’agriculture de la France y gagnerait gros, s’il était convenu qu’à l’entrée et à la sortie des fermiers, les terres seraient estimées, pour — si elles valent davantage — la plus-value être remise au fermier sortant. Et certes ce serait justice.

Quand Mathurin Chazelles, en se promenant le dimanche, ou le soir après l’ouvrage, regardait ses champs bien engraissés et ses beaux prés verts croyant presque, au printemps, entendre pousser l’herbe drue, dans ce petit bruissement qui s’entend le soir en l’absence des autres bruits, ou regardant, — l’été, grésiller au soleil ses blés mûrissants — alors il ressentait une grande joie, un bon orgueil.

ANDRÉ LÉO

(À suivre.)