Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/348

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Mais ensuite, seule enfin dans l’ombre de la nuit, la jeune fille arrêta sa pensée sur ce point tremblant des réalisations difficiles, qui unit le présent à l’avenir rêvé. La scène aussitôt changea. Lucie entendit éclater les imprécations de son père, mêlées aux cris d’horreur de Mme Bertin, au courroux incisif de Clarisse, et les huées du monde, s’élevant en clameurs, l’étourdirent. Alors elle vit l’autre face des choses, et une douleur égale à sa joie lui saisit le cœur.

Le courage lui manqua. Elle s’enveloppa sous la couverture, et de grosses larmes, silencieuses et désespérées, inondèrent son oreiller.

Mlle Bertin épouse un paysan ! Quel scandale ! toute la bourgeoisie de dix lieues à la ronde se voile la face. Les hommes font de gros rires et des plaisanteries à voix basse. Les mères devant leurs filles imposent silence quand on prononce le nom de Lucie Bertin, et les filles détournent la tête avec un air de souffrance pudique. Dans la rue, Lucie voit courir sur les lèvres des hommes qui la regardent un sourire infâme, et elle entend les femmes chuchoter : Quelle indignité, ma chère ! faut-il qu’elle ait grand besoin d’un mari !

— Oh ! je n’oserai jamais ! s’écrie la pauvre enfant. Jamais ! jamais !

Elle eût accepté la mission de Jeanne d’Arc, ou celle d’Élisabeth Fry. Elle eût passé le Tibre sous une pluie de flèches ; elle eût plongé dans son sein le poignard d’Arria, ou bu le poison de Sophonisbe, tout, plutôt que ce martyre de honte sous les flèches acérées de l’insulte et du mépris.

Toute la nuit s’écoula dans cette agitation, l’espérance affaiblie luttant à peine contre la terreur. Ivre de larmes, elle s’endormit au matin.

Un des moments les plus cruels dans la vie est celui