Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/439

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Où allons-nous ? demanda Lucie.

— À la Crassonnière, chez ton oncle Grimaud. Peut-être ne laissera-t-il pas mourir sa nièce sans un secours. Grand Dieu ! faut-il être réduit à implorer la pitié, nous ! Voilà donc le sort qui m’était réservé à la fin de ma carrière ! En quoi ai-je mérité les vengeances du ciel ? Dieu, qui m’entendez ! et vous, mes pauvres filles, mes chères filles ! je vous ai entraînées dans le même gouffre de maux !!!

Tandis qu’elle parlait ainsi, tout en marchant vite, elle levait les mains au ciel, et le vent faisait flotter son châle autour d’elle. Elles pleuraient toutes deux. La nuit était grise et sans étoiles ; le vent d’automne soufflait dans les rameaux en faisant tourbillonner les feuilles. Seules dehors à cette heure, elles n’entendaient que le bruit de leurs pas, l’aboiement des chiens de ferme et le gémissement de la chouette au loin.

Elles firent un long détour pour éviter un village, de peur d’être reconnues. Il y a près d’une lieue de Chavagny à la Crassonnière, aussi n’arrivèrent-elles qu’aux environs de neuf heures. Les domestiques furent ébahis en les voyant, et le vieux propriétaire en devint cramoisi sous sa perruque rousse.

— Vous m’avez fait une peur du diable ! s’écria-t-il. Et qu’est-ce qu’il y a ?

— Je vous le dirai, mon oncle, quand nous serons seuls.

— Eh bien ! que fais-tu là, toi ? dit M. Grimaud en se retournant vers la vieille Catherine, sa gouvernante.

— Jésus, mon cher monsieur, rien du tout ; c’est que je pensais que ces dames auraient ben pu vous donner une attaque, de la peur qu’elles vous font. Je voulais savoir si mam’zelle Clarisse était point morte ?

— Pas encore ! dit la pauvre mère, et quand la domes-