Aller au contenu

Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/468

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on lui rabattait même vingt pour cent sur le prix de chaque article. Un jour, sans rien dire, elle fit un paquet de sa belle robe de soie grise, et s’en alla chez les Perronneau. Chérie avait beaucoup admiré cette robe. Après un long marchandage, Lucie laissa la robe et revint avec trente francs. Pour ce fait, Mme Bertin bénit solennellement sa fille cadette, et compara sa conduite aux plus beaux dévouements de l’antiquité. Maman, ce n’est qu’une robe, disait Lucie, n’en parle point à Clarisse.

On put donc acheter de la viande et quelques bouteilles de vin. Bien ménagés, les trente francs donnèrent le nécessaire pour un mois, après quoi la débine recommença. Mme Bertin alors voulut vendre sa robe, mais Chérie n’en achetait plus. Par un intermédiaire, la robe parvint à Gorin, qui en donna dix-huit francs, car il faisait alors la cour à la Martine et il espérait l’épouser.

On atteignit ainsi la fin de mars 1846. L’air doux, le chaud soleil et la terre féconde renouvelaient la vie. Clarisse éprouva tout à coup un mieux sensible. Elle put quitter le lit où elle gisait depuis deux mois et passer tous les jours quelques heures dans un fauteuil. Même un jour que le soleil était plus radieux, en apprenant que les pêchers commençaient à fleurir et que les lilas montraient déjà le bout de leurs grappes violettes, elle voulut sortir et marcha, soutenue par sa mère et sa sœur, jusqu’au bosquet, où elle s’assit. Longtemps les yeux éblouis de la pauvre malade contemplèrent cette nature éternelle, hier, elle aussi, languissante et couchée, maintenant exubérante de force et de beauté. Errant de la fleur éclose à l’oiseau joyeux, de l’arbre bourgeonnant au ciel splendide, ses yeux enfin se mouillèrent. Jamais elle n’avait senti si fortement la grandeur de la nature et le charme de la vie.

Elle sourit, son cœur se gonfla d’émotion et elle s’ef-